Le quai Cayenne fait face à la gare de Sète. La région Languedoc-Roussillon devenue récemment en charge du port de commerce de la ville a transformé en marina de luxe ce canal qui n’a pas toujours eu cette respectabilité…On l’appelait volontiers à Sète, le quai de l’oubli, celui où les bateaux en fin de vie rouillaient ostensiblement leurs coques des années durant. Au bout de ce quai lugubre, la nuit, près des voies Sncf, des « marginaux » comme on dit pudiquement, vivent leurs vies d’exclus. De la misère et de la violence bien sûr mais aussi des moments de grâce et de solidarité dans cette microsociété que les automobilistes bien-pensants font semblant d’ignorer accélérant pour la plupart, à la vue de bidonville dérangeant…
“Et beaucoup d’imbéciles savent qu’un chien a besoin d’une maison. Un abri pour les Cochons volants”
Pink Floyd, Pigs on the Wing
Entre la Terre et le Ciel, il existe toujours une antinomie et une animosité qui sont universelles et apparaissent « malgré tout ». Le désir humain de s’opposer et de chercher une place « juste » entre la Terre et le Ciel a certainement fait naître le cynisme, l’agressivité, l’impudence. Etre égaux ou « plus égaux que les autres » a sans doute donné la vie de la séparation conventionnelle entre l’abondance et le manque, entre les riches et les pauvres, entre « Moi » et les autres, entre les Hommes et les Animaux…
La Ferme des animaux : Pigs, Dogs et Sheep
L’Etre humain, est-il toujours capable de créer des principes, les siens et ceux des « Autres » ? Et si oui, est-il toujours apte à les suivre ?
Entre les Cochons qui baignent dans le luxe et l’oisiveté, les Chiens qui visent constamment le profit en dépit de toute vertu et les Moutons qui suivent les leaders docilement, il n’est guère étonnant que beaucoup apparaissent comme des Poules : bêtes, misérables, sans âme… Ecrasées par le Ciel imbibé de nuages et la Terre plate et goudronnée, les Poules sont montrées du doigt : elles apparaissent comme des « êtres » à part, pauvres et inutiles. Et pourtant, les Cochons avaient interdit à tous les animaux de boire de l’alcool, de marcher à deux pattes et de dormir dans un lit… pour ne pas ressembler aux Hommes qu’ils avaient chassés de la Ferme. Jusqu’au jour où les Cochons se sont mis à marcher à deux pattes et de boire de l’alcool, car ils ont pris le pouvoir à leur tour, en asservissant les autres animaux…
Les Poules
La Ferme des animaux, cette belle métaphore de George Orwell qui dessine la nature humaine, est bel et bien réelle. Elle existe non seulement parce que nous l’avons construite dans nos têtes, mais parce qu’elle est un phénomène social.
Les œuvres de Vladimir Vasilev en font preuve. A travers ses IMAGES, ce photographe esquisse une Ferme divisée en pauvres et riches, hiérarchisée et politisée, stigmatisée et universelle, mais sans doute réelle. Vladimir Vasilev consacre toute son énergie pour dévoiler le vrai visage du monde des Poules – des gens nés ex nihilo nihil, sans domicile fixe - afin de démontrer qu’entre la Terre et le Ciel, ces Hommes sont toujours et encore les victimes du cynisme, de l’agressivité et des préjugés. Ils sont toujours priés de ne pas boire de l’alcool, de ne pas occuper les espaces vides de la Ferme, de ne pas marcher à deux pattes, alors qu’ils sont bien là à cause d’un ordre préétabli par les Cochons. Un ordre social dans lequel il est plus que jamais le temps que les Hommes reprennent le pouvoir.
Ivan Ivanov, journaliste